L’affaire du géo-textile

Un don de 1.800 M2 (1 tonne, 3 à 4000 euros) a été effectué suite au séjour sur Carabane d’un touriste donateur qui avait remarqué l’épi de la plage des campements. Amadou Sarr qui avait participé à la réalisation de l’épi lui ayant affirmé que la construction d’une digue sur la plage de Kafar était indispensable à la protection de l’ile, le donateur a accepté de fournir 300 mètres de géotextile de 6 mètres de large pour fabriquer cette digue de 1,5 mètres de diamètre sur les 300 mètres de plage à protéger.

Ce don envoyé à Dakar au profit de l’association ARDICA est resté en souffrance au port de Dakar pendant 2 mois faute de démarche pour l’exonération. Il fallait donc payer le dédouanement et les frais de stockage.

Le donateur contacté par Patrick Chevalier (grâce au Président du jumelage Bon-Encontre) a sollicité l’aide du Pan d’action. Les frais (113.000 CFA ont été payés sur le budget du Plan d’action et une demande d’exonération a été soumise au Ministère de l’Environnement au nom du Plan d’action de lutte contre l’érosion qui avait été accepté par l’État et qui entrait le programme officiel (PLGIZC).
La demande a été acceptée par la Direction de l’Environnement après qu’il lui ait été garanti que le tissu ne serait pas utilisé en digue de 300 mètre de long sur la flèche de KAFAR comme le prévoyait le donateur et ses bénéficiaires (Ardica et le chef du village) mais comme le prévoyait le Plan d’action.
Malheureusement, une fois le tissu arrivé à Carabane le donateur et les bénéficiaires n’ont pas respecté le Plan d’action qui leur avait pourtant permis d’exonérer leur produit.

Cette histoire est en effet instructive à double titre :

  1. Les dons peuvent devenir des sources d’injustice et des obstacles au développement. Il y a beaucoup de dons sur cette ile de Carabane chargée de l’histoire de la colonisation, histoire qui a connu des relations variées entre colonisateur et colonisé. Carabane concentre probablement les 9 dixièmes des dons des 21 iles de Basse Casamance. Les autres iles sont oubliées car elles ont peu ou pas de campements ou d’accès pour les touristes. De fait les touristes y vont peu sauf pour la pêche ou les courtes visites. Cette concentration, source d’injustice pour les habitants pose également quelques difficultés du côté des donateurs. Il sera intéressant de donner la parole aux donateurs déçus.
  2. La Gestion Intégrée des Zones Côtières et plus généralement le développement, pour être efficace et durable demande une méthode participative rigoureuse. Cette méthode, on le verra, ne peut être respectée si les donateurs et les bénéficiaires manquent de repère et refusent le dialogue avec les scientifiques et les autorités régionales et nationales.

Sur ce deuxième point, en matière de lutte contre l’érosion, l’initiative d’habitants bénéficiaires de dons et qui refusent l’avis des scientifiques est source de conséquences parfois désastreuses. Ici il s’agissait d’une sorte d’ « obsession des barrages ». Cette même certitude qui avait fait réaliser des protections contre la mer sur la plage des campements (pneus, pieux, sacs de sable, béton) et qui avait fait germer l’idée d’un tube de 300 mètres de log à Kafar a donc resurgi à AFDAÏ sous la forme d’un barrage construit pour boucher le bolong contrairement au Plan d’action, ce qui présente des risques.

Heureusement, comme on l’observe sur la photo, le courant a sapé le barrage et l’a fait couler en son milieu ce qui rétablit en partie la circulation d’eau. La nature a donc heureusement sauvé la mangrove de l’ignorance des humains imaginant tout maîtriser.

Les travaux scientifiques depuis les années soixante démontrent pourtant qu’arrêter la marée présente des risques d’acidification des sols en amont du barrage et met en péril la végétation (palétuviers). On savait que les barrages réalisés par le projet hollandais ILACO dans les années 1960 ont entraîné des catastrophes en rendant les les sols toxiques et incultivables

L’explication fournie par Boubacar Barry, pédologue sénégalais spécialiste de cette question est claire :

« … les sols sulfate-acide ont fortement besoin d’être inondées la plupart du temps pour éviter le processus d’oxydoréduction se produise. En système normal les marées journalières remplissent cette fonction. Les sols sont en effet peu matures avec un pH voisinant 7. Avec un barrage on n’a plus l’effet des marées et les sols sont exposés surtout en saison sèche et se forment les sulfate d’alumine qui brutalement ramène le pH a 2 ».

La thèse de Jean Pierre Montoroi, pédologue IRD fournit davantage de détails

La pénétration moins profonde des eaux marines dans la forêt de palétuviers et leur évaporation prolongée ont augmenté la salinité des sédiments au coeur du peuplement. » ( page 42)

Les rhizophoras, moins tolérants, ont disparu et ont été remplacés par les avicennias, tandis que ceux, situés à l’avant de la mangrove, continuent à se développer au fur et à mesure de la sédimentation. La salinisation des sédiments s’intensifiant, les avicennias ont été également affectés et ont laissé place à des surfaces nues sursalées, les « tanns» (1). L’évaporation prolongée de ces tannes favorise leur aération. Des bactéries sulfato-oxydantes se développent et transforment les dépôts sulfurés en jarosite, cette transformation s’accompagnant d’une forte acidification du milieu (VIEILLEFON, 1977) (page 47 )

La sécheresse climatique concentre l’eau de mer et favorise la salinisation de ces matériaux. La sécheresse artificielle, créée par l’aménagement anti-sel, provoque une maturation superficielle du sol accompagnée par une forte acidification (pH < 3) : précipitation de jarosite et de sulfates métalliques (aluminium, fer et magnésium, LE BRUSQ et al., 1987). ( page 166 )

Depuis la construction du barrage anti-sel, les sols du bas-fond de Djiguinoum sont soumis à une alternance de périodes d’inondation et d’exondation. Des processus de réduction et d’oxydation libèrent des éléments solubles donnant notamment un caractère acide généralisé aux eaux.

L’état de saturation des eaux de nappe et de la retenue a été étudié vis-à-vis des minéraux identifiés au chapitre précédent. Cette étude montre que les eaux sont sous-saturées vis-à-vis de la halite, de l’hexahydrite et de la jarosite. Ce dernier minéral semble être en équilibre avec les eaux de surface – Thèse Jacques Vieillefon page 137


Laisser un commentaire